lundi 3 février 2014

Un rêve triste

     Je monte quelques marches qui donnent sur une large esplanade dallée qui sépare la plage d'un bâtiment de plusieurs centaines de mètres de long. Le ciel est aveuglant comme tout le reste qui est d'une blancheur pâle. Le bâtiment est orné de gigantesques sculptures représentant des formes vaguement humaines à la matière cireuse et translucide.
     Tâche sombre dans ce paysage, Sharmila vient à ma rencontre, vêtue comme une femme d'affaires. Ses longs cheveux noirs tombent en dessous de la taille. Sa peau a le teint particulier des indiens. Elle me sourit.
_ Bonjour, Béranger. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu.
     Je lui souris en retour, je ne sais pas trop comment la regarder.
_ Bonjour. Tu n'as pas changé. J'écoutais la radio dans la voiture quand j'ai entendu une interview de toi. Je n'ai pas reconnu ta voix mais je n'ai pas oublié ton nom.
     Elle se croise les bras et un voile de tristesse s'abat sur son visage.
_ Tu es donc la femme de celui...
_ … qui existait sans existence. Une tournure de journaliste qui n'a aucun sens.
_ J'ai été ému par ton témoignage. J'ai voulu venir te voir.
     Sharmila me regarde de ses yeux francs, sans laisser sa pudeur dissimuler sa souffrance. Elle semble à la fois nue et habillée d'une dignité de velours.
_ Je l'ai tellement aimé... Il a accepté de m'ouvrir les portes de ses rêves et j'ai accepté de l'accompagner dans ses voyages. Nous sommes allés loin, nous avons vécu de manière intense.
     J'hésite à la prendre dans mes bras mais je n'en fais rien. Nous approchons du sable, un vent léger se lève et tourne autour de nous. L'instant s'étire et le temps devient élastique.
_ Quand je t'ai connue, tu étais une sorte d'exilée qui avait presque fait le tour du monde. Tu possédais un charisme certain comme si rien ne pouvait t'atteindre. Maintenant, tu es plus belle que jamais, j'ai l'impression de découvrir ta vraie nature. Parfois, quand on finit par trouver ce qu'on cherche, cela nous rend triste. Je me demande si l'éternité commence dès ce moment ou s'il est possible de vivre une nouvelle jeunesse.
     Sharmila ne se formalise pas de ce que je viens de dire. Elle ne dit rien, toute à sa tristesse, comme si elle voulait me signifier que j'étais loin de tout comprendre. Sans doute. Je me contente d'imaginer et d'apporter mon soutien qui vaut ce qu'il vaut. Est-il possible d'aimer et d'admirer une personne à la fois ? Peut-on être aimé par une personne qu'on admire ? Parfois, nous sommes des solitudes qui s'assemblent.
     Comme on n'avait plus rien à se dire, on s'est quittés.
_ A bientôt. Ça m'a fait plaisir de te revoir.

     Je quitte l'esplanade par là où je suis arrivé et je monte dans ma voiture. En compagnie de mon père et de mon frère, nous partons je ne sais où.