Je monte quelques marches
qui donnent sur une large esplanade dallée qui sépare la plage d'un
bâtiment de plusieurs centaines de mètres de long. Le ciel est
aveuglant comme tout le reste qui est d'une blancheur pâle. Le
bâtiment est orné de gigantesques sculptures représentant des
formes vaguement humaines à la matière cireuse et translucide.
Tâche sombre dans ce
paysage, Sharmila vient à ma rencontre, vêtue comme une femme
d'affaires. Ses longs cheveux noirs tombent en dessous de la taille.
Sa peau a le teint particulier des indiens. Elle me sourit.
_ Bonjour, Béranger.
Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu.
Je lui souris en retour,
je ne sais pas trop comment la regarder.
_ Bonjour. Tu n'as pas
changé. J'écoutais la radio dans la voiture quand j'ai entendu une
interview de toi. Je n'ai pas reconnu ta voix mais je n'ai pas oublié
ton nom.
Elle se croise les bras
et un voile de tristesse s'abat sur son visage.
_ Tu es donc la femme de
celui...
_ … qui existait sans
existence. Une tournure de journaliste qui n'a aucun sens.
_ J'ai été ému par ton
témoignage. J'ai voulu venir te voir.
Sharmila me regarde de
ses yeux francs, sans laisser sa pudeur dissimuler sa souffrance.
Elle semble à la fois nue et habillée d'une dignité de velours.
_ Je l'ai tellement
aimé... Il a accepté de m'ouvrir les portes de ses rêves et j'ai
accepté de l'accompagner dans ses voyages. Nous sommes allés loin,
nous avons vécu de manière intense.
J'hésite à la prendre
dans mes bras mais je n'en fais rien. Nous approchons du sable, un
vent léger se lève et tourne autour de nous. L'instant s'étire et
le temps devient élastique.
_ Quand je t'ai connue,
tu étais une sorte d'exilée qui avait presque fait le tour du
monde. Tu possédais un charisme certain comme si rien ne pouvait
t'atteindre. Maintenant, tu es plus belle que jamais, j'ai
l'impression de découvrir ta vraie nature. Parfois, quand on finit
par trouver ce qu'on cherche, cela nous rend triste. Je me demande si
l'éternité commence dès ce moment ou s'il est possible de vivre
une nouvelle jeunesse.
Sharmila ne se formalise
pas de ce que je viens de dire. Elle ne dit rien, toute à sa
tristesse, comme si elle voulait me signifier que j'étais loin de
tout comprendre. Sans doute. Je me contente d'imaginer et d'apporter
mon soutien qui vaut ce qu'il vaut. Est-il possible d'aimer et
d'admirer une personne à la fois ? Peut-on être aimé par une
personne qu'on admire ? Parfois, nous sommes des solitudes qui
s'assemblent.
Comme on n'avait plus
rien à se dire, on s'est quittés.
_ A bientôt. Ça m'a fait
plaisir de te revoir.
Je quitte l'esplanade
par là où je suis arrivé et je monte dans ma voiture. En compagnie
de mon père et de mon frère, nous partons je ne sais où.
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