lundi 7 avril 2014

Homdrë (3)

Le silence se fit entendre une troisième fois mais rapidement, une lueur bleue s'intensifia de plus en plus tout autour d'elle à travers les arbres. Bientôt apparut devant elle de manière gracieuse un loup nimbé d'un halo blanc, suivi de près d'un aigle brillant d'or et enfin, plus tardivement mais autrement plus majestueusement, une bête fabuleuse que Myelanyl n'avait jamais vu auparavant. C'est cet étrange animal qui diffusait cette lumière bleue magique. On aurait dit tantôt un cerf, tantôt un être humain. Ou alors un cheval ressemblant à un dragon. Il était difficile de déterminer précisément sa nature comme si elle était en perpétuelle évolution.
Dans un langage compréhensible de la jeune femme, la créature prit la parole :
_ Nous avons entendu ta détresse et avons décidé de te venir en aide. Mais sache que nous apparaissons rarement aux être humains. Par conséquent, lorsque ton enfant aura atteint l'âge de se débrouiller seul, tu nous rejoindras et deviendra l'une d'entre nous en qualité nouvelle de sorcière que nous t'enseignerons. Tu vivras plus longtemps que la plupart des Hommes, tu seras parfois détestée ou admirée. Toujours, tu seras crainte. Mais jamais, tu ne parleras de nous car tu signerais notre déclin. Tu seras le lien entre la nature et l'Homme et dans la discrétion, tu œuvreras à l'harmonie qui fait la vie. Maintenant, va, ton souhait a été exaucé.
L'aigle s'envola trouant le faîte des arbres et projetant une rare lumière solaire sur le visage de Myelanyl. Le loup décrivit un large cercle autour de la sorcière et s'évanouit dans la forêt. La créature, quant à elle, la quitta à reculons et la lumière disparut dans les profondeurs de l'inconnu.
Un mois plus tard, Myelanyl accoucha dans la pénombre de la cabane d'un garçon qu'elle nomma Lodmar. Brurmikk se désintéressa complètement de ce nourrisson. A mesure qu'il grandissait, il posa à peine le regard sur son fils qui apprit très tôt à se méfier de ce père qui le frappait à l'occasion et sans raisons.
Myelanyl n'eut plus jamais peur. Même battue, violée, son sort ne l'atteignait plus. Elle passait ses journées avec son fils à qui elle enseignait tout ce qu'elle savait. L'enfant prit plaisir à grimper dans les arbres et à y construire des cabanes dans lesquelles il pouvait rester des heures et même y dormir toute la nuit. Malgré toute l'affection qu'il avait pour sa mère, Lodmar était sauvage. Passé sa dixième année, il ne cessait d'affronter Brurmikk qui devient à son égard de plus en plus violent. Lodmar gagnait en espièglerie et en cruauté et s'il n'était qu'amour envers sa mère, il rêvait de terrasser son père.
A l'anniversaire de ses quinze ans, il venait d'inaugurer un pont de singe qu'il avait dressé entre deux cabanes. Il aperçut sa mère s'éloigner furtivement de la clairière au lac. Intrigué, il la suivit d'arbre en arbre et s'arrêta dans celui-même au pied duquel Myelanyl scella son destin de sorcière. Caché aux yeux de sa mère, Lodmar ne l'était pourtant pas aux yeux des créatures de la forêt. Tandis que le cerf s'entretenait avec Myelanyl, l'aigle s'envola promptement et de ses serres agrippa Lodmar et le fit chuter au sol près de la sorcière. Myelanyl en sursauta de stupeur mais avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, le cerf s'exprima :
_ Ton fils t'a suivi, il est le fruit de la brutalité et de l'amour. Pendant cinq ans, tu seras formée à la sorcellerie et de toi seule dépendra ta pureté. Ton fils oscillera entre la folie des Hommes et la sagesse qui les mènera à l'éternité. Oublie ne serait-ce qu'un instant ton rôle de sorcière et ton fils penchera un peu plus vers la folie. Sois exemplaire et Lodmar sera à même de maîtriser son propre destin. Mais nul ne pourra prédire s'il choisira en définitive l'ombre ou la lumière.
Puis, le cerf se tourna vers Lodmar qui était à moitié couché et impressionné :
_ Lodmar, tu portes un lourd fardeau et tu seras bientôt mis à l'épreuve. Va, retourne chez toi et décide du destin des Hommes.
Mère et fils partirent ainsi dans deux directions opposées. Lodmar se trouvait désemparé, se demandant ce qu'on attendait de lui. Attendait-on seulement quelque-chose de lui ? Plusieurs mois durant, il vécut seul avec Brurmikk qui ne posa même pas de questions sur l'absence de Myelanyl. Il ne leva même plus la main, laissant son fils encore plus seul.
Un jour, un homme vêtu d'une armure et d'un casque, tenant son épée à la main et son bouclier dans l'autre, déboucha dans la clairière. Ne sentant pas de danger autour de lui, il retira son heaume et s'abreuva au lac. Il se reposait depuis dix minutes lorsqu'il vit de l'autre côté de l'eau, une splendide jeune femme qui l'observait. Son cœur battit la chamade, émerveillé. Il ne pensa même pas à récupérer son arme. Les yeux écarquillés, il parvint à balbutier :
_ Qui es-tu ?
La jeune femme, resplendissante dans sa robe, lui répondit par un sourire qui illumina son visage.

_ Je m'appelle Lodmaël.

mardi 1 avril 2014

Homdrë (2)

Nul ne savait ce que devinrent ces courageux hommes mais toujours est-il que jamais ils ne purent gagner la tanière de Brurmikk. Celui-ci mena une vie tranquille hors de toute crainte. Il séquestra tout d'abord la jeune femme qu'on nommait Myelanyl qui terrorisée, profitait de la moindre occasion pour s'enfuir de sa prison noire. Mais à chaque tentative, elle revenait piteusement sur ses pas, incapable de trouver le chemin de son village. Depuis, Brurmikk la laissa libre d'aller où bon lui semblait, certain de toujours la voir revenir.
Myelanyl finit par se résigner sans penser à choisir une vie solitaire au cœur de la forêt où elle serait toujours mieux que sous le joug de cet homme qui l'hypnotisait de terreur. Peut-être espérait-elle qu'un chevalier valeureux finirait par déboucher un jour, guidé par le destin. C'était bien là le dernier rêve d'enfant qu'elle pouvait imaginer. Son visage doux se marqua rapidement des stigmates de la peur et de la haine à l'encontre de son geôlier et si elle gardait toujours son incroyable beauté, elle avait cependant perdu toute innocence.
Brurmikk ne se désola pas longtemps de son échec subi au village et retrouva sans efforts ses plus bas instincts. Dès le soir de son retour dans sa cabane, sa main entra en action et les coups plurent sur l'infortunée. Sa robe fut retroussée et la douleur pénétra incessamment sa chair tandis que son cou était à demi étranglé pour couper court à toute velléité de rébellion. Heureusement, elle pouvait se réfugier dans la noirceur de la cabane pour pleurer son désespoir sans craindre de subir l'irascibilité de son tortionnaire.
Les jours se succédèrent ainsi sans que rien ne brisât la monotonie de cette routine. Quand Brurmikk partait vagabonder, Myelanyl s'adonnait au seul plaisir qui lui donnait un tant soit peu de baume au cœur : nager dans le lac et sentir l'eau l'envahir comme une illusoire protection. Elle écoutait le bruit des animaux et des éléments naturels qu'elle avait appris à différencier de celui sinistre de l'homme caverneux. Bientôt, elle n'eut plus peur des hurlements de loups au loin ou de l'errance du vent serpentant entre les arbres. Elle se plaisait à imaginer que la nature comprenait sa douleur. Malheureusement, aucun animal, aussi petit fût-il, ne s'approchait près de ce lieu, comme si tout un chacun percevait l'aura maléfique qui s'en dégageait.
Parfois, quand elle entendait Brurmikk revenir, elle se cachait derrière la cascade, collée à la paroi fraîche de la falaise pour retarder de quelques minutes l'inévitable. D'autres fois, elle sortait de l'eau, le corps ruisselant et nu, d'une démarche assurée et avec une lueur de défi dans le regard. Mais Brurmikk n'y prêtait aucune attention et la traitait invariablement de la même façon comme s'il était sourd à toute intelligence.
Il ne parlait jamais même quand Myelanyl tentait d'engager la conversation. Il ne l'écoutait pas, seulement tourné vers ses propres satisfactions et ses occupations. Il ne lui donnait jamais l'occasion, à cause de son hermétisme, de laisser éclater sa colère puisque celle-ci ne rebondissait sur rien qui lui aurait permis d'être soulagée.
Un jour finit par arriver ce qui devait arriver. Myelanyl était partagé entre le bonheur d'élever un petit être et l'angoisse de le voir subir les brimades de son père, si ce n'est pire. Les mois passaient, son ventre s'arrondissait et les bleus sur son corps disparurent un à un car Brurmikk fut pris d'une crainte instinctive devant un événement qui ne correspondait pas à son univers familier. Toutefois, cela était bien relatif car cela ne l'empêchait pas d'abuser d'elle.
A l'entame du dernier mois, Myelanyl ressentit en elle un profond avertissement. Elle s'exila durant quelques jours et s'arrêta au pied d'un arbre envahi par la mousse qui lui procura une assise confortable. Elle sonda l'obscurité de la forêt et d'une voix puissante, elle lança cet appel :
_ Ô animaux de la forêt, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.
Elle attendit que l'écho de sa voix se laisse submerger par le silence mais rien ne vint.
_ Ô soleil inatteignable, ô vent invisible, ô éléments qui font de cette forêt une terre inviolée, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.
Elle attendit que l'écho de sa voix se laisse submerger par le silence mais rien ne vint.
_ Ô nature indomptable dont la fierté jamais ne faiblit, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.