mardi 1 avril 2014

Homdrë (2)

Nul ne savait ce que devinrent ces courageux hommes mais toujours est-il que jamais ils ne purent gagner la tanière de Brurmikk. Celui-ci mena une vie tranquille hors de toute crainte. Il séquestra tout d'abord la jeune femme qu'on nommait Myelanyl qui terrorisée, profitait de la moindre occasion pour s'enfuir de sa prison noire. Mais à chaque tentative, elle revenait piteusement sur ses pas, incapable de trouver le chemin de son village. Depuis, Brurmikk la laissa libre d'aller où bon lui semblait, certain de toujours la voir revenir.
Myelanyl finit par se résigner sans penser à choisir une vie solitaire au cœur de la forêt où elle serait toujours mieux que sous le joug de cet homme qui l'hypnotisait de terreur. Peut-être espérait-elle qu'un chevalier valeureux finirait par déboucher un jour, guidé par le destin. C'était bien là le dernier rêve d'enfant qu'elle pouvait imaginer. Son visage doux se marqua rapidement des stigmates de la peur et de la haine à l'encontre de son geôlier et si elle gardait toujours son incroyable beauté, elle avait cependant perdu toute innocence.
Brurmikk ne se désola pas longtemps de son échec subi au village et retrouva sans efforts ses plus bas instincts. Dès le soir de son retour dans sa cabane, sa main entra en action et les coups plurent sur l'infortunée. Sa robe fut retroussée et la douleur pénétra incessamment sa chair tandis que son cou était à demi étranglé pour couper court à toute velléité de rébellion. Heureusement, elle pouvait se réfugier dans la noirceur de la cabane pour pleurer son désespoir sans craindre de subir l'irascibilité de son tortionnaire.
Les jours se succédèrent ainsi sans que rien ne brisât la monotonie de cette routine. Quand Brurmikk partait vagabonder, Myelanyl s'adonnait au seul plaisir qui lui donnait un tant soit peu de baume au cœur : nager dans le lac et sentir l'eau l'envahir comme une illusoire protection. Elle écoutait le bruit des animaux et des éléments naturels qu'elle avait appris à différencier de celui sinistre de l'homme caverneux. Bientôt, elle n'eut plus peur des hurlements de loups au loin ou de l'errance du vent serpentant entre les arbres. Elle se plaisait à imaginer que la nature comprenait sa douleur. Malheureusement, aucun animal, aussi petit fût-il, ne s'approchait près de ce lieu, comme si tout un chacun percevait l'aura maléfique qui s'en dégageait.
Parfois, quand elle entendait Brurmikk revenir, elle se cachait derrière la cascade, collée à la paroi fraîche de la falaise pour retarder de quelques minutes l'inévitable. D'autres fois, elle sortait de l'eau, le corps ruisselant et nu, d'une démarche assurée et avec une lueur de défi dans le regard. Mais Brurmikk n'y prêtait aucune attention et la traitait invariablement de la même façon comme s'il était sourd à toute intelligence.
Il ne parlait jamais même quand Myelanyl tentait d'engager la conversation. Il ne l'écoutait pas, seulement tourné vers ses propres satisfactions et ses occupations. Il ne lui donnait jamais l'occasion, à cause de son hermétisme, de laisser éclater sa colère puisque celle-ci ne rebondissait sur rien qui lui aurait permis d'être soulagée.
Un jour finit par arriver ce qui devait arriver. Myelanyl était partagé entre le bonheur d'élever un petit être et l'angoisse de le voir subir les brimades de son père, si ce n'est pire. Les mois passaient, son ventre s'arrondissait et les bleus sur son corps disparurent un à un car Brurmikk fut pris d'une crainte instinctive devant un événement qui ne correspondait pas à son univers familier. Toutefois, cela était bien relatif car cela ne l'empêchait pas d'abuser d'elle.
A l'entame du dernier mois, Myelanyl ressentit en elle un profond avertissement. Elle s'exila durant quelques jours et s'arrêta au pied d'un arbre envahi par la mousse qui lui procura une assise confortable. Elle sonda l'obscurité de la forêt et d'une voix puissante, elle lança cet appel :
_ Ô animaux de la forêt, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.
Elle attendit que l'écho de sa voix se laisse submerger par le silence mais rien ne vint.
_ Ô soleil inatteignable, ô vent invisible, ô éléments qui font de cette forêt une terre inviolée, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.
Elle attendit que l'écho de sa voix se laisse submerger par le silence mais rien ne vint.
_ Ô nature indomptable dont la fierté jamais ne faiblit, je viens à vous pour vous supplier. Faites que ma fille que je porte en mon ventre naisse garçon et ne puisse jamais subir le même mal que sa mère.

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