Il y a très longtemps,
Homdrë était une cité prestigieuse qui rivalisait d'orgueil avec
la capitale du royaume d'Opulence, Voldrë, au point que ces deux
villes furent pendant un temps surnommées Les Deux Capitales.
Mais bien plus longtemps
encore avant, Homdrë n'était rien tandis que Voldrë était la
seule ville d'importance du sud du continent. Homdrë n'avait pas de
nom, pas d'existence. Seul, dans la forêt profonde, terre de
superstitions, un homme vivait en reclus dans une cabane en bois mal
assemblée d'où ne perçait qu'une fenêtre à peine plus grande
qu'une meurtrière et une petite porte par laquelle il entrait, penché et de
biais. Cet homme s'appelait Brurmikk...
Son histoire était
celle d'une légende qui se transmettait de génération en
génération dans les villages du sud ouest d'Opulence qui n'était
pas encore alors un royaume uni. Brurmikk était décrit
invariablement comme un être de grande corpulence dont le visage
était noyé par la barbe et la chevelure hirsutes et d'où ne
ressortaient que ses yeux sombres au milieu desquels brillait de la
haine farouche. On disait qu'il avait fui la compagnie des Hommes
après qu'il se fut rendu coupable d'un crime dont la description
était laissée à la libre imagination des conteurs et conteuses.
Brurmikk s'était enfoncé profondément dans la forêt de sorte que
personne ne risquait jamais de le croiser. Il avait fini par arrêter
sa course au pied d'une cascade qui se déversait dans un petit lac
abrité par les arbres centenaires. On prétendait que la rivière
qui s'en écoulait était celle qui traversait tous les villages du
pays et qu'il lui suffisait simplement de suivre son cours pour venir
la nuit tombée dévorer les enfants dans leur sommeil mais que si
l'on écoutait attentivement, ses pas résonnant lourdement
précédaient sa venue et donnaient le temps à tout un chacun de se
réfugier dans le château du seigneur.
Au flanc de la falaise
d'où chutait la cascade, Brurmikk avait bâti sa demeure à la
va-vite. L'obscurité y régnait et lorsqu'il y attisait un feu, la
fumée sortait de la cabane par les interstices et si l'on
contemplait ce spectacle, on pouvait croire à un diable au repos. On
ne savait au juste ce que Brurmikk faisait de ses journées, on
présumait qu'il chassait de ses mains nues pour se nourrir et que le
temps restant, il ruminait sa haine d'heure en heure grandissante.
Un jour, alors que tout
le monde s'était félicité de son absence et avait oublié son
existence, il décida de revenir au village qui l'avait chassé.
Avant de sortir des arbres et de sa cachette, il observa longtemps
l'activité qui y régnait. Le seigneur sur son cheval se promenait
tranquillement parmi ses sujets qui travaillaient sous le soleil
brûlant d'été. Brurmikk cristallisa sa haine envers cet homme
richement vêtu et s'élança brusquement dans un fracas de branches
cédant sous sa poussée. La panique gagna le village, les uns
coururent se réfugier tandis que les autres se saisirent de leurs
outils comme des armes pour affronter l'intrus. Brurmikk ignora la
menace et se concentra uniquement sur le seigneur qu'il désirait
tuer. Ses bras lourds comme des gourdins écartaient le danger avec
une aisance impitoyable et l'issue de la bataille ne faisait aucun
doute. Pourtant, un élément desservit l'ermite. Reclus depuis des
années dans l'obscurité de la forêt, il fut aveuglé par la clarté
du jour. Plus il avançait, plus la douleur était grande faisant
pleurer ses yeux des larmes de sang et moins il était capable de
voir. Presque arrivé à la hauteur du seigneur, il ne fut plus en
mesure de le repérer. Ses bras se tendirent en avant et, comprenant
son échec, il se saisit au hasard de la première personne que ses
mains rencontrèrent. Il s'agissait de la fille même du seigneur
qu'elle avait décidé d'accompagner. Les conteurs se plaisaient à
la décrire comme la plus belle femme qui ait vécue au royaume
d'Opulence et à dire qu'il n'y eut plus jamais eu d'aussi belle
depuis. Brurmikk la saisit à la taille et la soulevant contre son
flanc, il regagna la forêt le corps criblé de coups et de
projectiles.
Il ne recouvrit jamais
complètement la vue mais suffisamment pour semer ses poursuivants
qui ne s'étaient jamais aventurés dans la forêt jusqu'à ce jour.
Le seigneur, fou de rage et de tristesse, envoya ses dix meilleurs
hommes parmi ses soldats à la recherche de sa fille et leur ordonna
de ne revenir qu'avec elle sous peine d'être décapité de sa propre
main. Hélas, chaque année, à la même date, il envoyait ses dix
meilleurs hommes sans que jamais un seul ne revint. On en envoyait
encore qu'il était mort depuis belle lurette. Cette aventure devint
au fil du temps un rite d'initiation pour tous les jeunes gens en âge
de devenir des hommes. La plupart s'engageait en espérant débusquer
un fabuleux trésor ou terrasser un monstre légendaire. Or, bien
souvent, ils ne revenaient qu'avec des prises de chasse ordinaire,
telles des cerfs ou des sangliers.
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